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M'étant penché en cette nuit à la fenêtre,
je vis que le monde était devenu léger
et qu'il n'y avait plus d'obstacles.
Tout ce qui
nous retient dans le jour semblait plutôt devoir
me porter maintenant d'une ouverture à l'autre
à l'intérieur d'une demeure d'eau vers quelque chose
de très faible et de très lumineux comme l'herbe :
j'allais entrer dans l'herbe sans aucune peur,
j'allais rendre grâce à la fraîcheur de la terre,
sur les pas de la lune je dis oui et je m'en fus..
Philippe Jaccottet
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Quitter un appartement. Vider les lieux.Décamper. Faire place nette. Débarrasser leplancher.Inventorier, ranger, classer, trier.Éliminer, jeter, fourguer.Casser.Brûler.Descendre, desceller, déclouer, décoller, dévisser,décrocher.Débrancher, détacher, couper, tirer, démonter,plier, couper.Rouler.Empaqueter, emballer, sangler, nouer, empiler,rassembler, entasser, ficeler, envelopper,protéger, recouvrir, entourer, serrer.Enlever,porter, soulever.Balayer.Fermer.Partir.Georges Perec
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Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'écris ton nomSur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nomSur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J'écris ton nomSur tous mes chiffons d'azurSur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom
Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom
Sur chaque bouffée d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J'écris ton nomSur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orage
Sur la pluie épaisse et fade
J'écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J'écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J'écris ton nomSur la lampe qui s'allume
Sur la lampe qui s'éteint
Sur mes maisons réunis
J'écris ton nomSur le fruit coupé en deux
Dur miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J'écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J'écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J'écris ton nomSur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J'écris ton nomSur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nomSur l'absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nomSur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom
Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.Paul Eluard
in Poésies et vérités 1942
Ed. de Minuit, 1942
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Comme je m’acheminais vers la colline, je rencontrai le Vent du Nord. Il était vêtu d’un grand manteau de neige et sa couronne de glaçons étincelait. Il me dit: «Laisse-moi t’emporter vers les immuables blancheurs. «Tu verras les aurores incomparables, les mers immobiles et lumineuses, les montagnes de cristal qui flottent sur les eaux et les solitudes pâles au fond de l’éternel silence.» Je répondis au Vent du Nord: «Mon âme est retenue au village par le sourire indécis d’une vierge.» Le Vent du Nord s’enfuit dans un frisson d’ailes. Comme je m’acheminais vers la colline, je rencontrai le Vent de l’Est. Il était vêtu de pourpre et sa couronne de rayons flamboyait. Il me dit: «Laisse-moi t’emporter vers la lumière. «Tu verras le faste des couleurs, les dorures des pagodes aux clochetons bizarres, le chatoiement soyeux des robes de mousmés et la naissance glorieuse du Soleil.» Je répondis au Vent de l’Est: «Mon âme est retenue au village par le sourire indécis d’une vierge.» Le Vent de l’Est s’enfuit dans un frisson d’ailes. Comme je m’acheminais vers la colline, je rencontrai le Vent du Sud. Il était vêtu d’or et sa couronne d’étoiles resplendissait. Il me dit: «Laisse-moi t’emporter vers l’azur. «Tu verras les forêts aux végétations paradoxales, la grâce des lionnes et la subtilité des panthères, les reptiles indolents et splendides, les temples et les ruines, les sphinx accroupis dans les déserts, les oasis et les mirages, et l’inexprimable magnificence des fleurs.» Je répondis au Vent du Sud: «Mon âme est retenue au village par le sourire indécis d’une vierge.» Le Vent du Sud s’enfuit dans un frisson d’ailes. Comme je m’acheminais vers la colline, je rencontrai le Vent de l’Ouest. Il était vêtu de vert tendre et sa couronne de perles rayonnait. Il me dit: «Laisse-moi t’emporter vers la mer. «Tu verras l’infini des horizons ruisselants et le charme mystique des brumes, le passage des voiles dont la blancheur légère se colore, vers le soir, de violet et d’orange, et l’étendue fabuleuse des Océans.» Je répondis au Vent de l’Ouest: «Mon âme est retenue au village par le sourire indécis d’une vierge.» Le Vent de l’Ouest s’enfuit dans un frisson d’ailes.
Renée Vivien
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