• « J’ai une bulle d’air. Je la sens très bien. Quand je suis triste elle se fait plus lourde, et parfois, quand je pleure, on dirait une goutte de mercure. / Je la sens très bien. Lorsque je suis content elle se fait plus légère, et parfois, lorsqu’elle me parle, on croirait qu’elle n’existe pas. / La bulle d’air se promène de mon cerveau à mon cœur et de mon cœur à mon cerveau. »

    Fernando Arrabal dans "La pierre de la folie".


    5 commentaires

  • 6 commentaires

  • Dans son sommeil glissant l’eau se suscite un songe
    un chuchotis de joncs de roseaux d’herbes lentes
    et ne sait jamais bien dans son dormant mélange
    où le bougeant de l’eau cède au calme des plantes

    La rivière engourdie par l’odeur de la menthe
    dans les draps de son lit se retourne et se coule
    Mêlant ses mortes eaux à sa chanson coulante
    elle est celle qu’elle est surprise d’être une autre

    L’eau qui dort se réveille absente de son flot
    écarte de ses bras les lianes qui la lient
    déjouant la verdure et l’incessant complot
    qu’ourdissent dans son flux les algues alanguies

    Claude ROY, Poésies, Gallimard. 


    3 commentaires


  • C'est lui qui, malgré les épines,
    L'envie et la dérision,
    Marche, courbé dans vos ruines,
    Ramassant la tradition.
    De la tradition féconde
    Sort tout ce qui couvre le monde,
    Tout ce que le ciel peut bénir.
    Toute idée, humaine ou divine,
    Qui prend le passé pour racine,
    A pour feuillage l'avenir.

    Victor Hugo, des rayons et des ombres


    3 commentaires
  • Peu à peu Morgannww revint à la vie. La figure angélique qui lui était apparue, parfois, comme en rêve, pendant son long délire, se révéla être celle d'une belle jeune fille bien vivante. Et bientôt il se trouva frappé d'une autre maladie, aussi redoutable que celle provoquée par la dent du dragon ; il n'eut aucun mal, lui, à la reconnaître, en ayant entendu la description dans quelques poèmes que je lui avait fait lire. C'était l'AMOUR. Il voulut mourir. Comment lui, pauvre jeune chevalier sans titre et sans fortune, pouvait-il oser prétendre aspirer à aimer la fille du roi de Poldévie ? Un jour, la belle Gortensja entrant dans la chambre de son malade (presque entièrement guéri ) le trouva silencieux et troublé. Elle voulut lui dire : "Bonjour ami, quel est cet émoi ?" ; mais AMOUR, qui avait décidé de prendre les choses en main, lui fit dire à la place "Beau doux ami, caressez-moi !" Entendant ce qu'elle avait dit, elle rougit jusqu'aux oreilles et au-delà, et voulut se reprendre, mais AMOUR, qui ne l'entendait pas de cette oreille, la fit soupirer et répéter encore : "Beau doux ami, caressez-moi ! " Ce qu'ouissant Morgannww connut qu'elle l'aimait aussi. Il agit aussitôt avec dextérité en accord avec cette révélation qui lui sauvait une seconde fois la vie.



    Jacques Roubaud


    4 commentaires
  •  

     

    Au dernier quart de la nuit

     

     

    Hors de la chambre de la belle

    rose de braise, de baisers

    le fuyard du doigt désignait

    Orion, l'Ourse, l'Ombelle

    à l'ombre qui l'accompagnait.

     

    Puis de nouveau dans la lumière,

    par la lumière même usé,

    à travers le jour vers la terre

    cette course de tourterelles.

     

    Philippe Jaccottet




    4 commentaires
  • Il coud discret

    des petits bijoux

    autour de ses plaies

    les diamants sont faits

    de charbon

    et les poèmes

    de petits silences

    papillonnants

    autour des hurlements

     

    Thomas Vinau Juste après la pluie Alma Editeur


    6 commentaires
  • La  rosée tombe, le ciel est haut, les eaux débordées sont calmes.

    Par la montagne déserte dans la nuit solitaire les âmes errantes     s'émeuvent.

    Seul au loin le fanal éclaire une voile immobile.

    La lune nouvelle au ciel s'accroche, cependant que s'arrête le bruit des battoirs.

    Les chrysanthèmes ont fleuri, les hommes endorment leurs douleurs.

    Pas à pas sur la véranda appuyé à mon bâton je contemple la Grande Ourse,

    Le fleuve céleste au loin mène jusqu'à la ville.

     

    Tou Fou (Chine 712-770) Trésor de la poésie universelle ed Gallimard/Unesco


    10 commentaires

  • Je voudrais tenir un de ces savantasses qui me traitent d’obscurantiste, je lui dirais : «Ce n’est pas ma faute si je porte un costume de croque-mort. Après tout, le Pape s’habille bien en blanc, et les cardinaux en rouge. J’aurais le droit de me promener vêtu comme la Reine de Saba, parce que j’apporte la joie. Je vous la donnerais pour rien si vous me la demandiez. L’Église dispose de la joie, de toute la part de joie réservée à ce triste monde. Ce que vous avez fait contre elle, vous l’avez fait contre la joie. Est-ce que je vous empêche, moi, de calculer la précession des équinoxes ou de désintégrer les atomes ? Mais que vous servirait de fabriquer la vie même si vous avez perdu le sens de la vie ? Vous n’auriez plus qu’à vous faire sauter la cervelle devant vos cornues. Fabriquez de la vie tant que vous voudrez ! L’image que vous donnez de la mort empoisonne peu à peu la pensée des misérables, elle assombrit, elle décolore lentement leurs dernières joies. Ça ira encore tant que votre industrie et vos capitaux vous permettront de faire du monde une foire, avec des mécaniques qui tournent à des vitesses vertigineuses, dans le fracas des cuivres et l’explosion des feux d’artifice. Mais attendez, attendez le premier quart d’heure de silence. Alors, ils l’entendront, la parole – non pas celle qu’ils ont refusée, qui disait tranquillement : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie » – mais celle qui monte de l’abîme : « Je suis la porte à jamais close, la route sans issue, le mensonge et la perdition.»

    Journal d'un curé de campagne, Georges Bernanos

     


    2 commentaires

  • "Trouve des mots
    qui soient des portes
    derrière lesquelles
    on écoute la mer raconter une histoire

    de ces portes qu'on pousse
    au-dedans de soi"

    Gilles Baudry, Brocéliande, Liv'Editions, 110 p.


    5 commentaires